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Du mardi au vendredi, le meilleur de la food

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Par Pomélo
19 févr. · 11 mn à lire
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Les prédictions food 2024, la suite

Épisode 2 avec 25 nouveaux experts qui racontent projections et tendances culinaires pour l'année en cours

Sophie Journo, co-fondatrice des restaurants Privé de dessert

Je pense qu’en 2024, beaucoup de restaurants vont fermer. Je le vois autour de moi : l’augmentation des coûts (l’électricité, les matières premières) fait que, même en augmentant un peu les prix du menu, on ne peut pas absorber complètement ces augmentations. C’est pas hyper consensuel ce que je dis là mais c’est ma funeste prédiction d’une tendance qu’on observera en 2024…

Sophie Brissaud, journaliste et autrice de nombreux livres culinaires

Si tout se passe comme il faut, si mes pressentiments sont justes, le congee sera bientôt une tendance chinoise forte ! Il est incompréhensible que cette soupe de riz miraculeuse, bienfaisante et déclinable à l'infini n'ait pas encore décollé en France; Cependant, certains commencent à s'y intéresser, donc je vois la chose se développer dans l'avenir proche. Cela aura, en passant, l'avantage de nous faire oublier les bao (généralement mal faits et ne méritant pas une telle attention) et des faux restaurants sichuanais qui nous balancent du piment (pardon du "mala") au lieu de s'intéresser aux excellents produits et aux cuissons attentives d'une vraie cuisine chinoise. Qu'on ne s'étonne pas, ce problème existe aussi en Chine.

Coline Le Houezec, attachée de presse au sein de l’agence Pascale Venot

Je table sur le développement du "all day long". Ras-le-bol de faire la queue tous aux mêmes heures, et de se faire amener l'addition sans l'avoir demandée au bout d'une heure trente - pour laisser place au second service. On assiste de plus à plus à la mise en place d'offres culinaires plurielles (formules petit-déj', brunch, déjeuner, snacking, tea-time, afterwork / aperitivo, dîner, cave à manger...), comblant les estomacs à toute heure. Si en France le rituel du repas à heure fixe persiste (et grand bien nous fasse, à en croire les nutritionnistes), de multiples facteurs (télétravail, freelance, etc) donnent naissance à de nouvelles manières de consommer le restaurant. On y vient à n'importe quelle heure, et les cartes n'ont qu'à s'adapter.

Le renoncement à la traditionnelle "coupure" - en faveur du bien-être des employés de la restauration - ne fera qu'accentuer ce mouvement. Le client se voit roi à nouveau. À son tour de re-choisir ses assiettes, ciao les cartes blanches, on ré-impose nos conditions, on refuse de se faire houspiller en cas de retard, et hors de question de faire la queue... Les restaurateurs n'ont qu'à bien se tenir. La roue tourne, la fin d'un règne.

Paul-Henry Bizon, journaliste, romancier et ex-rédacteur en chef du Fooding

Je pense que la tendance à la fermentation va se poursuivre, notamment pour le pain et les pâtes de type foccacia ou pinsa. Ça va aller de pair avec une tendance à la street-food qui répond à la demande du manger bon et pas cher. Vu les charges de plus en plus exorbitantes, ça va devenir de plus en plus difficile d’assurer des assiettes de bonne qualité à des prix de bistrots.

Aussi, la saucisse a un bel avenir ! Végétale, animale, facile à fabriquer et à conserver, en sandwich, en assiette… Je mettrais un billet sur le grand retour de la saucisse !

Graffi Rathamohan, co-fondatrice des restaurants PNY

Le retour d’une certaine cuisine à l’aise dans ses baskets. Une cuisine qui arrête de chercher à plaire - parce qu’elle plaît tout court. Dans un monde qui cherche à retrouver du lien et du sens, elle n’a plus à jeter des paillettes dans les yeux. Les paillettes, ça obstrue le regard, et t’empêche de voir l’autre et de te connecter à lui. Dans la cuisine du “toujours plus”, il ne peut y avoir de satiété. A l’inverse, cette cuisine qui revient à l’essentiel, elle, autorise de tomber le masque. C’est, par exemple, à l’image de tout ce que touche Florent Ciccoli (du Café du Coin au Recoin), il n’y a plus besoin de surenchère, ni de filtre. Une cuisine qui va de soi, des tables et des chaises rapprochées, un regard que tu croises, et hop, tu as la vie en fond sonore.

Jean-Laurent Cassely, fondateur de Maison Cassely, bureau de tendances spécialisé dans les questions de territoires et de modes de vie

La restauration comme locomotive commerciale. Il y a encore quelques années, on parlait de locomotive à propos des hypermarchés ou encore des grandes enseignes de vêtements qui, sur leur seul nom, faisaient se déplacer les clients dans un centre commercial. Mais face au “retail apocalypse”, soit en bon français, l’hécatombe commerciale qui touche ces enseignes vestimentaires et plus généralement le commerce physique, concurrencé par le e-commerce et frappé de ringardisation et d’obsolescence, les professionnels de l’immobilier commercial et tertiaire ont trouvé la parade : la restauration comme nouveau pourvoyeur de flux.

Deux exemples. La Communale, lieu gastronomique et culturel dans une ancienne halle industrielle, généreusement pourvu en stands alimentaires et espaces de restauration façon foodcourt, tout récemment inauguré en petite couronne parisienne début janvier, derrière lequel on trouve… L’entreprise Frey, une foncière spécialisée dans les retail parks, les zones commerciales d’entrée de ville. Ou encore le projet One Place Rungis, un gigantesque foodhall annoncé il y a un an par Icade, un autre poids lourd de l’immobilier tertiaire (gestion de bureaux, promotion), en association avec le chef Grégory Cohen.

Après avoir reconfiguré les centres-villes, les lieux mixtes, festifs et conviviaux, qui fondent leur attrait sur l’offre alimentaire et la restauration, s'implantent en banlieue et en périphérie, des espaces qui étaient encore perçus il y a peu comme un désert gastronomique bien éloigné des quartiers foodies.

Victoire Loup, journaliste et autrice culinaire basée entre Paris et Los Angeles

La tendance que j’anticipe, c’est le retour des tourtes et surtout des pies – **leur version britannique. De manière générale, la célébration des classiques de la cuisine bourgeoise française et anglaise. Je pense notamment à l’arrivée du restaurant Public House, par le chef britannique Calum Franklin (”the pie king”). La tourte, c’est un plat qui est réconfortant, très technique à faire et qui rejoint les univers de la pâtisserie et de la cuisine. Je pense que non seulement on va la voir très souvent au restaurant mais aussi que les gens vont s’y mettre chez eux, un peu comme ils se sont mis à faire leur propre pain au levain pendant le confinement.

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