Et il a tout compris à ce que devrait être la gastronomie d'aujourd'hui.
Quand j’étais gamin, j’adorais être malade chez ma grand-mère Odette. Elle me passait un gant froid sur le front alors que j’étais allongé sur le canapé en cuir vert du salon. J’avalais des verres entiers d’un mélange trouble d’eau, d’un peu de sucre et de fleur d’oranger. Et puis il y avait le bouillon de poulet et ses petites pâtes alphabet baignant dedans. Une copine me disait hier qu’en ce moment, elle voulait être cajolée, qu’on prenne soin d’elle, qu’on lui prépare « des soupes et des crêpes, comme chez mamie ». Léo Troisgros, 30 ans, n’a pas la gueule d’une mamie mais il y a de ça dans l’auberge qu’il tient avec sa compagne Lisa Roche. On se laisse faire, on aurait envie de rester une éternité dans leurs cabanes de luxe plantées en Saône-et-Loire, à manger des trucs trop bons au bar ou dans le « vrai » restaurant de l’établissement.
Mais avant de disserter sur ces deux-là, il faut que je vous dise que j’aime de moins en moins les gastros. « On veut du vrai », comme dirait l’autre. Même dans les meilleurs d’entre eux, on ne vous parle jamais tout à fait normalement et vous non plus, vous n’êtes pas totalement la même personne. Ce jeu fait partie de l’expérience mais moi, en 2024, j’ai envie de relâcher. J’ai assez joué. Joël Robuchon le disait déjà à la presse en 2009 : « La grande cuisine française m’emmerde ». Alors on fait quoi ? On peut acheter le bouquin du journaliste Victor Coutard, Nouvelles Auberges, sorti il y a 3 ans aux éditions Tana. Ou l’excellent Tour de tables d’Alicia Dorey et Goulven Le Pollès (Flammarion, 2023) à la vision similaire.
Et si vous me faites vraiment confiance, vous réservez un week-end à Roanne. En train depuis Paname, c’est 3h20, avec un stop à Lyon. Je ne vais pas vous la faire historien de l’Hexagone à fourchette mais un peu quand même : Roanne, dans la tête de tous les gastronomes, ça veut bien sûr dire Troisgros. La maison 3 étoiles Michelin est même aujourd’hui le plus ancien resto de cette catégorie dans le monde depuis la dégradation de la note de Bocuse en 2020. Le Graal rouge depuis 1968. Elle a déménagé dans les terres il y a sept ans, à dix petites minutes de voiture au sud, mais elle sera pour toujours associée à la ville, lorsqu’elle faisait face à la gare qui fut repeinte en rose en clin d’oeil au légendaire saumon à l’oseille inventé par les frères Troisgros, Pierre et Jean. Le fils de Pierre, Michel, a laissé la main en cuisine à son propre fils ainé, César, après avoir développé l’esthétique et les affaires de ce glorieux nom avec son épouse Marie-Pierre (qui partage sa vision du métier dans un livre génial chez Phaidon - en anglais - The art of the restaurateur de l’ancien chroniqueur culinaire du Financial Times Nicholas Lander).
À 29 minutes de bagnole de Roanne, au nord cette fois (et l’on peut même commander un Uber pour les sans permis comme moi), Léo Troigros, le fils cadet, a fait le choix de reprendre et de racheter l’auberge familiale, La Coline du Colombier, en couple, avec Lisa Roche. J’ai booké deux nuits là-bas, pas donné du tout (640 euros au total) mais il n’y a qu’une poignée de chambres, beaucoup plus d’employés (16) et puis c’est le prix à payer pour être loin de tout, dans des « cadoles » qui, pour résumer grossièrement, étaient des sortes de dépendances de châteaux de la région, cadoles revues sur place par le célèbre architecte Patrick Bouchain, le même à qui l’on doit la Grenouillère d’Alexandre Gautier dans le Nord. Vous pouvez aussi ne pas dormir du tout sur place, parce qu’on peut y manger sans dodo. Ça y est, je rentre dans le vif du sujet, j’arrive.
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