Cuisine indienne : et si on arrêtait les clichés ? (partie I)

Très grand entretien avec une spécialiste. Non, il n'y a pas que le butter chicken. Et oui, l'Ottolenghi indien existe.

Pomélo
9 min ⋅ 16/02/2025

Bonjour ! Nous sommes le dimanche 16 février 2025 et vous lisez Pomélo, le média food pas comme les autres. Bonne lecture ! ☀️

Selva Danassegarane est une trentenaire qui est devenue l’une des voix de la cuisine indienne en France. Ex-cadre marketing au guide Michelin, elle a écrit, sous son pseudo Jody Danasse, le livre À la table d'une famille tamoule: Recettes de mes parents publié en 2022 aux éditions Alternatives et vendu à plus de 2 000 exemplaires. Elle lancera dans quelques jours son propre média, Masala Trends, “la newsletter marketing pour mieux comprendre les cuisines indiennes et aller au-delà du curry”. En attendant, voilà la première partie de nos échanges sur ce répertoire mal connu et trop formaté dans l’Hexagone.

Tu conduis des tours culinaires dans le quartier de la Chapelle (18ème arrondissement de Paris) et tu demandes aux gens ce qu’ils savent de l’Inde. Ils te répondent quoi ?

Quand ils parlent de cuisine indienne, les Français parlent tout de suite d’un truc avec une multitude d'épices, des plats très crémeux, du riz, parfois des lentilles. Les deux adjectifs qui reviennent, c’est “coloré” et “épicé”. Ce sont vraiment pour moi des mots-valises parce que “coloré”, bon bah tu mets un peu ce que tu veux derrière et pour “épicé”, les gens confondent piquant et épicé. Et puis il y a plein de cuisines qui utilisent aussi les épices, ce n’est pas propre à l’Inde. Après côté plats reviennent le tikka massala, le butter chicken… Il y a aussi cette idée que la cuisine indienne est une cuisine crémeuse, très riche, très revigorante. Tu ressors, t’es lourd, tu as trop mangé. C’est pas forcément gras pour les gens mais ça a un côté très roboratif.

À Paris, la communauté indienne est plus forte qu’ailleurs en France et compte des quartiers ou zones très identifiés (La Chapelle mais aussi ce qu’on appelle Little India dans le 10ème arrondissement). Les Parisiens ont-ils une meilleure connaissance de la cuisine indienne ?

Effectivement, il y a dans la capitale une offre plus diversifiée, avec des cantines dans ces quartiers, mais la différence de perception entre Paris et le reste du pays n'est pas non plus énorme, on reste sur les choses évoquées avant, c’est l’image qu’ils ont et qu’ils attendent. Après, il y a parmi les Parisiens quelques connaisseurs du quartier tamoul de La Chapelle, ils savent que la cuisine est plus “authentique” et ont leurs adresses préférées mais souvent, l’histoire des plats, le contexte (d’où viennent ces plats) passe à la trappe.

Tu fais la différence entre la cuisine de restaurant et la cuisine de la maison, moins riche…

Pour moi, il y a un peu la cuisine des restaurants qui, de manière générale, est une cuisine commerciale. Des choses que tu ne fais pas à la maison. Ensuite, tu as la cuisine de la maison, familiale. Et j'ai envie de dire à tous ceux qui ont des aprioris sur la cuisine indienne que c’est que comme la cuisine japonaise : les menus sushis-brochette, ce n’est pas ce qu’on mange vraiment à la maison au Japon. Les patrons de restaurants indiens ont dû s’adapter à la demande et ils ont eu peur également de sortir des sentiers battus faute de représentation dans le secteur. Il faut se faire inviter chez les gens pour goûter la vraie cuisine indienne, plus légère, ultra-régionale, qui fait la part belle aux épices bien sûr mais également aux fruits, aux légumes, aux herbes, aux condiments et aux légumineuses. Ce que j’adore dans ces cuisines indiennes-là, c'est que tu as toujours une espèce de dominante en termes de saveurs, que ce soit très piquant, très amer ou très acide. Je ne sais pas comment est-ce que je pourrais résumer ça, mais c'est toujours très brut, il y a quelque chose de parfois très sauvage. Ça, c'est la vraie cuisine indienne, qui dépend évidemment de la personne qui la prépare. Il ne faut pas oublier par ailleurs que dans la cuisine indienne, il peut y avoir la culture ayurvédique derrière, qui est la science des épices et du “comment prendre soin de son corps avec la nature”. Là, on parle de cuisine végétale, voire vegan, qui peut être non seulement très saine mais aussi très créative.

Des chiffres du ministère des Affaires étrangères indien, datant de 2018, évoquent une communauté indienne ou d’origine indienne de 109 000 personnes dans l’Hexagone. Des chiffres modestes comparés à d’autres pays (1,7 million au Canada, 1,9 million au Royaume-Uni, 4,5 millions aux Etats-Unis). Qui sont les Indiens ou personnes d’origine indienne chez nous ?

Ce sont les Tamouls qui représentent la majorité de la communauté indienne et indo-descendante en France, principalement issus des anciens comptoirs de Pondichéry et Karikal.

Mais retrouve-t-on la cuisine tamoule dans les restaurants ?

Non, et c’est ça qui est assez surprenant… Les restaurants indiens en France proposent une cuisine principalement du nord de l’Inde. C’est une cuisine indo-pakistanaise très calquée sur ce qui se faisait à Londres, sur le modèle des curry houses. Ça brouille les pistes parce que tu as l’impression que cette communauté d’Indiens du nord est vachement présente en France alors que par rapport à la communauté tamoule (indienne et sri-lankaise), non.

L’Inde du nord est très présente au Royaume-Uni en fait, c’est ça ?

Oui, complètement. Toute l’Inde a été colonisée par les Anglais, il y a énormément de cuisines indiennes régionales différentes au Royaume-Uni mais principalement ce qu’on appelle la cuisine mughlai. Il s’agit de la cuisine indo-perse, la cuisine des Moghols, influencée par la cuisine arabo-musulmane d’Asie centrale. On parle de cuisines dites un peu royales, c’est ce qui prédomine dans la culture des restaurants indiens que ce soit Outre-Manche ou en France. Comme ça marchait bien au Royaume-Uni, ça s’est répliqué en Europe et donc en France. Ce qu’il faut dire dans le même temps, c’est qu’il y a des plats du nord, comme le tandoori (qui est le four mais qui se réfère plutôt à l’Inde du nord parce que tandoor est un mot hindi) ou le biryani qui sont devenus un peu nationaux pour le coup, il y a de la porosité ici donc entre la cuisine du nord et du sud. il y a quelques plats nationaux, le biryani en fait partie. Et quand on prend le cas du poulet tandoori par exemple, moi je l’ai toujours consommé comme un plat de fête, en accompagnement d’un biryani. Ce n’est pas du tout un plat que tu manges tous les jours, c’est réservé aux grandes occasions en Inde. Et il y a mille recettes de poulet au four !

...

Pomélo

Pomélo

Par Pomélo

Pomélo fait appel à des journalistes gastronomiques jeunes comme très confirmés. La newsletter est dirigée par Ezéchiel Zérah, ex-rédacteur en chef des pages gastronomie de L’Express ayant écrit par le passé des grands portraits, enquêtes et longs formats culinaires pour des médias tels que les Échos Week-end, Le Point, Vanity Fair ou encore Le Parisien.

Les derniers articles publiés