Le meilleur magazine food de France ?

De l’humeur, de l’humour, de l’enquête… et aussi ce que l’on appelle pas encore patriarcat : plongée dans les premiers numéros du magazine Gault & Millau, de 1969 au début des années 1970. 

Pomélo
8 min ⋅ 30/01/2025

Bonjour ! Nous sommes le jeudi 30 janvier 2025 et vous lisez Pomélo, le média food pas comme les autres. Bonne lecture ! ☀️

On l’a oublié mais avant d’être un guide, ces deux noms là - Gault et Millau - étaient un magazine à la fin des années 1960. Un mensuel à l’immense succès public, offrant à Henri Gault et Christian Millau deux émissions chaque semaine sur les ondes d’Europe 1. Une matinée d’août, puis une autre en octobre, je me suis rendu dans les locaux de la marque à Paris dans le XVIème arrondissement. Des gros classeurs renferment les numéros année après année. Tout y est, enfin presque : il manque le numéro 1 que j’ai retrouvé sur Internet (toutes les photos sont de bibi, à l’exception de celle ci-dessous-). Tout commence donc en mars 1969 avec ce Nouveau Guide Permanent (c’est le titre, accompagné beaucoup plus bas de la mention « magazine Gault & Millau ») vendu 5 francs. Quand on n’a pas encore d’histoire, on se frotte à celle des autres et c’est ce que font les agitateurs de la gastronomie française puisque le dossier en couverture clame « Michelin, n’ignorez plus ces 74 étoiles ! ». 

Sont racontés avec la participation du critique gastronomique Henry Clos Jouve (1908-1981) les lieux qui méritent une voire deux étoiles au guide rouge dans tout le pays et ce dossier s’étendra aux numéros 2 et 3 avec des établissements supplémentaires. L’article défend ce « jeune chef plein de talent qui remet à la mode de vieilles recettes oubliées » (jambon de mouton, tête de veau en tortue, quenelle de lièvre, brouet d’anguille). Un certain… Alain Senderens (restaurant L’Archestrate à Paris) qui obtiendra un astre Michelin l’année suivante… et même trois en 1978. Je découvre des noms inconnus comme Michel Ploton, élève de Troisgros et de Bocuse qui « sauve Saint-Etienne de la médiocrité gastronomique » avec son pâté d’anguille à la crème d’oseille, ses paupiettes de saumon et ses pêches flambées. 

Le « courrier des grands chefs » a de la gueule : Paul Bocuse, Pierre Troisgros et d’autres confrères lauréats récents ou futurs du Graal Michelin (Paul Haeberlin, Louis Outhier, Charles Barrier) répondent aux lecteurs. L’un deux, qui prend sa plume depuis la Bretagne, chercher à transformer de beaux oeufs frais de campagne en oeufs au plat. Il saura qu’il faut jeter une noix de beurre dans une « bonne poêle » et dès que le beurre est blanc, on peut y mettre les oeufs préalablement cassés dans un bol. « Quand le blanc est moelleux (et surtout pas frit), retirez-les à l'aide d'une spatule et disposez-les sur un plat de service. Salez (pas sur le jaune), poivrez, passez une minute au four chaud (allumé au-dessus seulement) et nappez avec un peu de beurre blanc pour acheter de cuire les blancs. Filet de citron ou de vinaigre avant de servir », lui conseille-t-on.

C’est une autre époque, c’est peu dire, il suffit de lire un autre morceau de la rubrique, ici un lecteur qui explique : « Ma femme est souvent absente à l’heure du déjeuner. Malgré ma longue expérience, je n’ai encore jamais pu me faire cuire correctement une simple bolée de riz ». Dans le genre à l’ancienne aussi, le grand restaurant parisien Ledoyen fait sa pub sur le côté avec la petite phrase « Noblesse de la cuisine » inscrite à gauche d’un dessin de candélabre. Epicure, un pseudonyme, signe le « Courrier du corps » dans lequel il écrit que « Toutes les courbes sont harmonieuses à l'exception de deux, le dos rond et le ventre rebondi. Comme nous aimerions persuader nos aimables compagnes que, si un discret enrobement leur convient à ravir, elles doivent en revanche lutter sans pitié pour garder le dos droit et le ventre plat. Ainsi, seulement, leur silhouette gardera-t-elle sa jeunesse ». Ces propos feraient scandale aujourd’hui, pas il y a un demi-siècle. 

Tout n’est pas de cette teneur heureusement. Des pages mettent à l’honneur de « merveilleux chefs qui pratiquent leur métier comme de véritables artistes et qui, pourtant, demeurent méconnus ou sous-estimés », ils recevaient même un diplôme, les « lauriers Gault-Millau ». « Ne croyez pas ceux qui vous disent que le crime ne paie pas et que le talent est toujours récompensé », peut-on lire. Parmi les premiers de cette liste figure André Guillot, patron du Vieux-Marly (Yvelines) « non cité » au Michelin et au guide l’Auto-Journal. À sa retraite, Guillot partagera son savoir-faire autour de la cuisine plus légère (des années avant Michel Guérard) dans des séminaires que suivront avec attention de futurs barons de la gastronomie tels que Frédy Girardet, Emile Jung, Guy Martin et Marc Meneau qui seront tous un jour distingués de la plus haute récompense Michelin. Mais avant ces formations, avant de dérouler au restaurant son coquelet à la navarraise, son gratin de homard et sa pêche cardinale, on suit dans le magazine le parcours d’André Guillot pâtissier adolescent à Chantilly. « La vie en 1923 n’était pas douce pour un commis de quinze ans. Après une demi-année de coups de pieds dans le derrière et de levers à 2h du matin, il reçut sa première paye : 10 francs par mois ». 

Le portrait permet de croiser des personnages étonnants, comme ce richissime écrivain pour lequel Guillot travaille pendant trois mois mais qu’il ne verra ni n’apercevra jamais directement. Les cuisines ne concoctent qu’un repas par jour à cet homme fortuné, qu’il prend à 17h dans un silence absolu. Un repas qui dure… 5 heures, dégusté lentement et sans interruption, qui commence par une soupe au thé, au chocolat ou au café « dans laquelle, au coup de sonnette de la gouvernante, on plonge des brioches rôties à la minute » et qui est suivi par du fromage de Neufchâtel affiné sur place et de beaucoup d’autres séquences. Ce client pas comme les autres, ayant une « habitude maniaque de la fraicheur des fruits et des légumes »,, entretient même une flotte de voitures qui font le va-et-vient jour et nuit de la Côte d’Azur à Paris auprès des primeurs et marchands. 

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Par Pomélo

Pomélo fait appel à des journalistes gastronomiques jeunes comme très confirmés. La newsletter est dirigée par Ezéchiel Zérah, ex-rédacteur en chef des pages gastronomie de L’Express ayant écrit par le passé des grands portraits, enquêtes et longs formats culinaires pour des médias tels que les Échos Week-end, Le Point, Vanity Fair ou encore Le Parisien.

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