Du menu pour chiens (sur un paquebot) aux déjeuners de travail de François Hollande (qui aimait particulièrement la langoustine, le turbot et la lotte) à l'Elysée, reportage à Dijon dans une bibliothèque vraiment pas comme les autres...
Au printemps 2017, Caroline Poulain a passé des semaines à envoyer des mails pour essayer de récupérer des menus officiels, servis lors de repas organisés au Sénat ou à la Commission Européenne. Pour ceux de l’Élysée, la bibliothécaire - en poste à la bibliothèque de Dijon depuis 2002 - a sollicité par courrier d’anciens cuisiniers et pâtissiers du palais, sans grand succès. Elle finit par contacter sur Twitter (aujourd’hui X) Guillaume Gomez, alors chef des cuisines du président de la République, pour recevoir de temps à autre le menu d’un dîner organisé lors de la visite d’un chef d’État étranger, en précisant qu’elle fournira des enveloppes prétimbrées… Quelques jours plus tard, Gomez l’appelle : « Je vais faire mieux que ça, j’ai 1 500 menus, ils sont à vous ». Une heureuse surprise pour Caroline Poulain. Ce don, ou plutôt ce dépôt, assuré pour près de 30 000 euros, comprend vingt-deux ans de menus présidentiels, couvrant la période 1995-2017. On y trouve le poulet rôti et la montagne de pommes pailles du fameux bistrot parisien L’Ami Louis servi à l’Élysée pour l’anniversaire de Jacques Chirac, la volaille forestière à la tomate confite mangée par le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, ou les centaines de menus de travail de François Hollande — que l’on décortique en s’apercevant que l’ancien président socialiste, à l’appétit particulièrement marin (langoustines, turbot, lotte), a aussi un faible pour les tartes salées et sucrées.
Dans les malles rapportées en voiture par Caroline Poulain figurent par ailleurs des documents annexes tels que les discours ou les « fiches-repas », compositions détaillées des plats destinés aux maîtres d’hôtel. « Je me suis dit que cette collection m’appartenait sans m’appartenir, parce que le menu est vraiment la photo d’un instant, mais il retrace aussi l’histoire d’une époque. Si vous prenez les menus d’il y a 20 ans, on ne parlait pas de saisons, ça ne choquait personne de mettre de la tomate en janvier », constate Guillaume Gomez, aujourd’hui représentant personnel d’Emmanuel Macron sur les sujets liés à la gastronomie. Il a d’ailleurs conservé les menus servis à l’actuel président de la République, pour ne pas dévoiler les petites habitudes de bouche de ce dernier, le genre de détail dont la presse se montre toujours friande. Mais il a promis de les confier à Dijon à la fin du second quinquennat de Macron en 2027. La collection Gomez a donc rejoint la bibliothèque locale, qui s’est fait une spécialité gastronomique avec le legs en 1974 d’un millier de menus d’une famille de notables de la région, les Muteau, mais également avec l’acquisition, à partir des années 1980, de tous les nouveaux livres culinaires envoyés automatiquement et ce pendant vingt-cinq ans via la Bibliothèque Nationale de France.
L’une des entrées de la bibliothèque patrimoniale de Dijon
Située dans le centre-ville de Dijon, la bibliothèque patrimoniale est un ancien collège de Jésuites. Derrière son imposant portail en chêne sculpté, le bâtiment comprend des espaces somptueux, entre l’ancienne chapelle reconvertie en salle de lecture et la Salle des Devises avec aigle, grenade juteuse, soleil ou encore cerisier peints au plafond. Des dizaines de milliers de livres culinaires, anciens ou récents, répartis dans deux salles, sont à la disposition des visiteurs. Certains de ces ouvrages ont des titres d’un autre temps : La bonne cuisine congelée (1981, éditions Princesse), L’Afrique gourmande (1924, L. Fouque) avec en couverture un cuisinier noir aux pieds chaussés d’escarpins, Traité culinaire à l’usage des femmes tristes (2010, JC Lattès), Cuisine d’hommes (2005, Minerva)… Au premier étage, les curieux pourraient passer devant la salle numéro 20, pas spécialement attirante avec son sol en linoléum et ses étagères de garage, sans s’arrêter. C’est pourtant ici, dans ces rangées de classeurs noirs, que se cache un trésor : 18 823 menus, dont beaucoup sont numérisés et visibles gratuitement en ligne. On trouve de tout, du « Repas des cheveux blancs » (un club de retraités) organisé en 1979 dans un hôtel et rédigé sur une feuille vantant les qualités de Perrier (« le champagne des eaux de table ») aux menus de 17 locataires de l’Élysée qui mentionnent un tas de recettes de salades oubliées, servies au début du XXème siècle : salades Danicheff, Montfermeil, Jeannette, Lorette, Roxelane…
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