On a parlé de livres de cuisine pendant 3h (partie II)
C’est qui le prochain Ottolenghi ? Les livres de cuisine les plus sous-estimés ? Les plus influents de ces 100 dernières années ? Réponses de Déborah Dupont-Daguet, de la célèbre Librairie Gourmande à Paris.
Bonjour ! Nous sommes le mercredi 11 décembre 2024 et vous lisez Pomélo, le média food pas comme les autres. Bonne lecture !
Avant de passer au plat principal de cette édition, un mot (sponsorisé mais cool, c’est promis) sur la Maison Dom Pérignon. La Maison de champagne - présente à l'année au sein de la Table du Chef du restaurant gastronomique Le Meurice Alain Ducasse - propose jusqu'au 2 janvier 2025 un nouveau menu dans cet écrin secret où chaque assiette a été imaginée sur mesure afin de converser avec le millésime 2015 et d’autres cuvées. Pour l’association avec Plénitude 2 2006, cuvée Dom Pérignon qui se distingue par une maturation prolongée de 15 à 18 ans, le chef Amaury Bouhours a imaginé un jeu avec l’un des plats signature du restaurant, le veau maturé. « Il n’a pas une texture classique : on le mature pendant 2 semaines, il est ensuite mariné pendant 24 heures avant d’être cuit au barbecue japonais. En bouche, on a quelque chose de particulier, qui se rapproche du bœuf, et la sauce est végétale, avec une amertume légère : on assume de ne pas être dans une zone de confort pour faire découvrir de nouvelles choses aux clients », explique Amaury Bouhours à Pomélo. Touche finale par Cédric Grolet avec une association elle aussi atypique, poire-cerfeuil. On nous glisse dans l’oreillette qu’il s’agit d’une vraie expérience ludique dans laquelle interviennent… sons et lumières. Réservation par là.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
C’est qui le prochain Ottolenghi ? Quels sont les livres de cuisine (et les auteurs) les plus sous-estimés ? Qui sont les grands collectionneurs de livres de cuisine parmi les chefs ? Quels sont les livres les plus influents de ces 100 dernières années ? Avec les fêtes qui arrivent, j’avais envie de parler longuement de livres de cuisine. Et qui mieux comme invitée que Déborah Dupont-Daguet, patronne de la célèbre Librairie Gourmande à Paris (et Dijon depuis 2022, au sein de la Cité de la gastronomie) ? L’enseigne compte aujourd’hui 14 000 titres, emploie l’équivalent de 5 salariés au total sur ses deux sites et génère 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires (dont environ un tiers via le site web). Mais plus que ces stats, ce qui est intéressant avec Déborah, c’est son franc parler, elle est connue pour ça dans le milieu de la food. Un lundi de novembre, on a discuté pendant des heures et voilà la deuxième partie de nos échanges, édités pour plus de clarté dans la lecture.
Déborah Dupont-Daguet dans sa librairie (photo EZ)
Pomélo : Tu m’as parlé, dans la première partie de l’entretien, des particuliers qui collectionnent les livres de cuisine. Et chez les chefs ?
Déborah Dupont-Daguet : Chez les chefs, ce n’est pas un mystère que Jean-Piège est collectionneur. Il passe tous les deux ou trois mois mais ne prend pas tout. Parfois, il prend des choses qui n’ont rien à voir avec des livres de chefs parce qu’il est en train de travailler sur un nouveau livre ou se documente sur une thématique particulière. Il y aussi Martín Berasategui, chef 3 étoiles au Pays basque espagnol. Pour lui, j’ai systématiquement une pile sur mon bureau parce que dès que je reçois un livre susceptible de l’intéresser, je le mets de côté et quand j’en ai assez, je lui fais un colis. Si je ne lui envoie pas de colis toutes les deux ou trois semaines, il m’appelle.
Il parle français ?
Oui, couramment, et il veut que tous ses cuisiniers lisent le français et parlent le français.
Dans la newsletter de la Librairie Gourmande, il est systématiquement demandé à l’auteur d’un nouveau livre lequel il sauvegarderait s’il ne devait en avoir qu’un seul. Et toi ?
C’est dur… (elle réfléchit de longues secondes) Mais je dirais celui que j’ai écrit pour ma fille qui allait partir de la maison, Le petit manuel pour savoir cuisiner (First, 2023), parce qu’avec ça, je sais que je peux manger tous les jours. C’est pour ça que je l’ai écrit, ça me gonflait de devoir chercher des recettes dans 20 livres différents. C’est sans doute prétentieux de répondre ça mais je me suis créé mon propre livre de cuisine idéal. Là, je parle de cuisine quotidienne. Je ne pouvais pas filer à ma fille le Ginette Mathiot (autrice du livre Je sais cuisiner, publié pour la première fois en 1932 et vendu à plus de 6 millions d'exemplaires dans différentes langues selon un article du Monde datant de 2007, NDLR) parce que ce n’est pas comme ça qu’on mange, ni Ottolenghi parce que n’est pas comme ça qu’on mange non plus tous les jours. Ensuite, si c’est d’un point de vue plus intellectuel avec de la réflexion autour de la cuisine, je serais bien embêtée de répondre. Mais il y en a un que j’aime beaucoup, c’est Mémoires de chefs (Textuel, 2012) de Nicolas Chatenier. C’est un livre intemporel pour bien comprendre des périodes charnières de la gastronomie. Et je pense que le livre Le Château (Entorse éditions, 2024) aura cette même importance même si on est peut-être encore un peu trop dedans.
Est-ce qu’il y a des livres qu’on te demande régulièrement mais qui ne sont malheureusement plus édités ?
Oui, le livre de Pascal Barbot (publié en 2012 aux éditions du Chêne avec Chihiro Masui comme autrice et Richard Haughton à la photo, que l’on retrouve à plusieurs milliers d’euros en vente sur Amazon, NDLR). Celui de Bernard Pacaud aussi, le noir (livre L'Ambroisie publié en 2012 aux éditions Glénat). Les Grands Livres de Ducasse également avec la problématique de trouver un tarif raisonnable et en bon état. Ça fait partie des demandes un peu récurrentes parce que j’ai une clientèle professionnelle.
Est-ce qu’il y a un livre qui a pu être réédité grâce aux multiples demandes ?
Il y a eu ça avec la La bible des tout petits gâteaux de Martha Stewart (grande prêtresse de l'art de vivre aux Etats-Unis), un bouquin sorti en 2009 chez Marabout. J’ai tanné Marabout pendant deux ans et j'avais eu une réimpression. Et quand la réimp’ est arrivée au bout, là, ils m’ont dit : « Non, on ne le refera pas ». C’est pour ça que j’ai écrit le livre sur les cookies (Les cookies de nos rêves, 2019, éditions First, Déborah indique que le bouquin « a dû dépasser les 30 000 exemplaires vendus », NDLR). On en vient à ce que je disais sur la surproduction : ce qui est un peu dommage, c'est qu'on a quand même des livres dont on sait que les recettes fonctionnent. Il faudrait peut-être les toiletter un peu, avec une maquette plus moderne, retravailler quelques pages histoire de diminuer le sucre mais on sait que ces bouquins marchent en cuisine. Il y a un côté très frustrant à être toujours en train de courir après la nouveauté et de ne pas exploiter le fonds qui existe.
On peut « re-toiletter » des vieux livres ?
C’est la problématique avec les livres un peu à l’ancienne, les bouquins de Françoise Bernard et Ginette Mathiot qui continuent à se vendre mais c’est vrai que moi, je mets les clients en garde en leur disant : « Faites attention, ça correspond à l’alimentation quand on reçoit des gens, ce n’est plus une cuisine du quotidien. Vous ne mangez plus autant de viande chaque semaine ».
Est-ce qu’il y des très bons livres ou auteurs sous-estimés ?
Il y a des livres qui se sont loupés parce qu'ils ont eu une mauvaise mise en page ou qu’ils ne sont pas sortis au bon moment. Là comme ça, dans les auteurs, je trouve que Kéda Black par exemple n’est pas reconnue à sa juste valeur.